GreenIO Conference 2023 : quels usages pour un numérique responsable ?
La conférence GreenIO, organisée lors des API Days Paris en décembre 2023, a permis d’assister à des talks de qualité dans le domaine de la sobriété numérique.
Le constat est aujourd’hui sans appel : nous devons tous nous soucier de nos usages numériques et nous, professionnels du secteur, devons raisonner les usages que nous proposons.
L’industrie minière et les composants de nos équipements
La conférence a commencé sur les chapeaux de roue avec Aurore Stéphant de l’association SystExt. Spécialiste de l’industrie minière, elle a axé sa présentation autour du cycle de vie des ressources.
Tout d’abord l’extraction : les mines ont une empreinte environnementale considérable aussi bien par l’emprise de la mine, que les méthodes d’extraction ou les impacts à long terme sur les écosystèmes modifiés jusque très en aval des mines. Ensuite, les éléments qui sont utilisés de plus en plus largement ne le sont pas par nécessité, mais parce que cela permet d’optimiser les équipements électroniques, tels des vitamines.
Enfin, elle aborde la fin de vie avec le recyclage des équipements. Si la filière existe aujourd’hui, sur les dizaines de métaux qui composent nos déchets électroniques, seuls 4 sont recyclés : l’argent, l’or, le platine et le palladium.
Extraire les autres métaux des déchets coûte aujourd’hui trop cher et aucune filière n’est en place. Une véritable filière de recyclage existerait si celle-ci était prise en compte dès la conception des équipements, autrement dit une écoconception digne de ce nom. Ce n’est évidemment pas le cas puisque la construction et la gestion de la vie de l’objet avec sa réparabilité n’est pas généralisée à tous les objets, loin s’en faut. Aurore Stéphant a pris son propre smartphone en exemple : un Iphone, mais de 10 ans d’âge. En effet, le problème n’est pas d’avoir un Iphone… mais de le renouveler tous les 18 mois alors qu’il fonctionne encore.
Si vous êtes curieux, sa présentation était basée sur celle de l’USI 2022, avec des chiffres actualisés, qui n’étaient malheureusement pas ceux que l’on espérait.
La mise en place de la sobriété numérique
Gaël Duez, connu notamment pour son podcast GreenIO, a filé la métaphore du voyage en voilier pour nous parler de la mise en place de la sobriété numérique dans la société.
Tout d’abord, il a rappelé qu’il ne faut pas lier la sobriété à la seule métrique des émissions carbone et donc à la consommation. Il faut réfléchir à ses usages et penser dans une logique de bénéfice vs. risque. Il est intéressant de noter est que le principal moteur de mise en place de la sobriété numérique, ce ne sont plus les employés, mais la réglementation.
Il a également dressé un paysage des acteurs et des outils de la sobriété de l’IT où l’on voit que le nombre d’acteurs croît. Le clou de sa présentation est sans nul doute sa punchline “You are evil” en nous pointant du doigt, nous professionnels de l’IT, parce que l’on participe à la croissance de l’économie du numérique.
Reste à sensibiliser et responsabiliser l’ensemble des acteurs de cette économie !
La finale du Sustainable Digital Challenge s’est ensuite déroulée avec la présentation des différentes équipes participantes, voir ici notre article sur le sujet.
Les usages du numérique et leurs impacts
Les autres participants ont ensuite développé des sujets plus spécifiques.
Tristan Nitot s’est basé sur la loi de Moore où le hardware avec les progrès physique a pu doubler sa capacité tous les 24 mois. Pour lui est temps de passer au principe erooM (effort to radically organize optimization massively) : le software doit être optimisé afin qu’il ait une consommation plus frugale du hardware sans quoi la réalité du changement climatique nous tombera dessus, en reprenant le slogan “There is no plan(et) B”.
Julia Meyer de l’Ademe a présenté une étude sur l’impact des réseaux télécoms en France avec les principaux acteurs pour les particuliers et les professionnels. Ainsi, le résultat est assez surprenant : les réseaux télécoms représentent moins de 1,5Mt CO2/an (1) . En comparaison la consommation 200 individus français (2) génère plus d’impact que l’ensemble des réseaux.
(1) 0,62Mt CO2/an pour les réseaux mobiles, 0,325Mt CO2/an pour les réseaux fixes et 0,345Mt CO2/an pour les box.
(2) avec une émission annuelle moyenne par personne de 9,2t CO2.
Vincent Poncet de Google a présenté l’optimisation des performances de leurs datacenters. Comme on a pu le voir dans l’article sur le challenge sobriété numérique (voir lien plus haut) c’est un sujet pour Google depuis 20 ans. Ils sont donc très en avance par rapport à leurs concurrents. Toutefois, un peu comme la loi de Moore, il ne faut pas uniquement optimiser les datacenters ; il faut aussi optimiser les usages que l’on en fait, c’est un enjeu crucial du Cloud.
Theo Alves de Data for Good a abordé le sujet de l’intelligence artificielle dont les usages sont en pleine explosion actuellement. Les impacts pour l’entraînement du modèle de Generative AI très populaire ChatGPT 3.5 sont énormes : 0,5MtCO2, mais l’estimation des usages annuels sont 200 fois supérieurs, avec 100Mt CO2/an.
Si on parle de la multiplication des modèles et des usages, ces chiffres sont très inquiétants. Théo Alves va encore plus loin puisque ces résultats ne concernent que le modèle ChatGPT 3.5. Toutefois ce modèle sert surtout à optimiser des processus industriels. Il estime cette optimisation à 1800Gt CO2/an ce qui représente 3% de l’ensemble des émissions globales. Ainsi l’empreinte potentielle de toute la chaîne de valeur d’un seul modèle de Generative AI pourrait être aussi importante que l’empreinte actuelle du secteur du numérique.
Je regrette néanmoins la présentation quelque peu manichéenne de l’usage du machine learning mis en avant. Comme cela a été mis en avant, un modèle peut aussi bien servir à optimiser un champ de pétrole afin d’en accélérer l’exploitation ou à détecter des feux de forêt pour que les pompiers interviennent au plus tôt. Au-delà de réserver la technologie à des usages uniquement éthiques, ce qui serait idéal mais utopique, peut-être que la solution est dans ce que propose Gaël Duez, c’est à dire responsabiliser les porteurs de projet afin d’avoir une balance bénéfice vs. risque.
La grande difficulté est, nous le savons bien, que le numérique a une évolution bien plus rapide que les lois, il faudra donc que dans le domaine du machine learning les citoyens restent le premier moteur de mise en place de la sobriété. Nous avons donc un rôle actif à jouer dans la sensibilisation des citoyennes et citoyens, car il ne peut y avoir de débat démocratique sans connaissance et compréhension des enjeux.
Des axes d’amélioration pour la prochaine conférence
A titre personnel, deux éléments m’ont laissé sur ma faim.
Tout d’abord la programmation d’Aurore Stéphant en tout début de journée. Étant une experte de grande renommée et une excellente oratrice, elle a d’emblée mis la barre de la conférence très haute. Malheureusement tous les speakers n’ont pas son talent ou son niveau d’expertise. Nombreux ont donc été les speakers à faire écho à l’intervention d’Aurore Stéphant, sans pouvoir s’en affranchir. Je préfère personnellement, finir une conférence d’astrophysique avec André Brahic, Hubert Reeves ou Éric Lagadec, plutôt que d’avoir ensuite une succession d’experts à la pédagogie moins innée après une telle entrée en matière. Mais c’est la mode des conférences actuelles de mettre les têtes d’affiche en début de journée.
Ensuite la table ronde qui a peut-être pêché par excès d’optimisme : avec 8 participants, c’est impossible d’avoir un débat, il y a davantage eu des questions auxquelles nous avons eu 8 déclinaisons de réponses. C’est pour moi le signe qu’il y a matière à faire plus qu’une seule journée de conférence et plusieurs tables rondes avec des sujets plus ciblés.
Conclusion pour nous professionnels du numérique
Cette conférence était très intéressante dans le sens où l’on constate que le secteur du numérique a pris conscience de sa croissance exponentielle. Ainsi, si nous ne changeons rien dans la gestion de notre secteur, alors il y aura plusieurs points bloquants ayant tous la même source : nous avons une planète finie qui ne peut pas supporter indéfiniment une croissance exponentielle.
À nous professionnels du secteur de savoir faire évoluer nos métiers et nos produits sans quoi nous n’aurons plus assez de ressources pour construire de nouveaux serveurs ou plus assez d’électricité pour les alimenter, ce qui réserverait les usages les plus performants à ceux capables de payer des ressources devenues trop rares.