GAIA-X : le miroir aux alouettes ou la voie du salut pour l’Europe ? – partie 3
Cet article est la dernière partie d’une série de 3 articles qui résument les échanges auxquels j’ai assisté dans le cadre du troisième sommet de Gaia-X hébergé à Paris en novembre 2022 :
- GAIA-X : le miroir aux alouettes ou la voie du salut pour l’Europe ? – partie 1
- GAIA-X : le miroir aux alouettes ou la voie du salut pour l’Europe ? – partie 2
Dans ce dernier article, je vous présente les éléments clés mis en avant lors d’une table ronde portant sur « les défis actuels en matière d’énergie et de durabilité liés à la numérisation du système énergétique européen ; les principaux cas d’utilisation et les solutions que Gaia-X apporte, les projets déjà engagés, les principaux accélérateurs, les points clés et un futur appel à l’action. » Un sujet qui me tient particulièrement à cœur !
Cette table ronde était modérée par Martine Gouriet (Board of Directors Gaia-X, Directrice des Usages numériques EDF) et réunissait également :
- Aniello Gentile, Board of Directors Gaia-X et Directeur Global Cyber Security, Enel
- Dario Avallone, Directeur R&D, Ingénierie Ingegneria Informatica SPA
- Emmanuel Besse, PDG, Atos Worldgrid
- Véronique Lacour, Group Senior Executive Vice-Président, Transformation et Efficacité Opérationnelle, EDF
- Antonello Monti, Professeur, Directeur de l’Institut, RWTH Aachen University
- Günther Tschabuschnig, Président, Data Intelligence Offensive (DIO)
Pour Véronique Lacour, le domaine de l’énergie doit faire face à deux enjeux majeurs : d’une part trouver des solutions pour s’adapter au changement climatique (en changeant notamment nos sources d’approvisionnement énergétiques) et d’autre part assurer la souveraineté de ces solutions.
Pour faire face à ces enjeux, Mme Lacour rappelle qu’il est de plus en plus fait usage des services et données numériques. A titre d’exemples, elle cite la mise à disposition des consommateurs de tableaux de bord de leur dépense énergétique pour les aider à contrôler leur consommatio,n ou l’amélioration des opérations de maintenance par l’analyse prédictive des pannes. Les innovations en termes de services numériques et de gestion des données représentent donc un support important aux évolutions requises par le changement climatique. Ces technologies amènent aussi de nouveaux défis, et notamment celui de l’exigence de souveraineté. En cela la valeur de transparence portée par Gaia-X est une garantie une protection significative.
Pour Emmanuel Besse, dans la continuité de ce qui a été mis en avant par Mme Lacour, Gaia-X peut venir directement en support au développement de solutions permettant de réduire l’impact de nos usages IT, et par exemple en optimisant la consommation des centres de données. L’objectif serait de parvenir à décaler nos consommations afin de solliciter les centres de données à leur maximum quand cela serait le moins perturbant. Pour cela, il est nécessaire de construire des tableaux prévisionnels d’utilisation des centres de données, et donc de manipuler des volumes massifs de données pour comprendre les usages actuels, le périmètre d’action et identifier les traitements à prioriser.
Face à des ces enjeux technologiques, mais aussi aux enjeux réglementaires auxquels tous les acteurs européens font de plus en plus face, Gaia-X apporte une solution à travers la mise à disposition :
- Une opérabilité totale pour un échange transparent des données et pour éviter le verrouillage des fournisseurs.
- Une plateforme de marché à deux faces pour répondre à tous les cas d’utilisation
- Un cadre contractuel et acteurs pré-identifiés
Dario Avallone, pour sa part, estime que tous les fournisseurs de service sont dans « le même bateau » que les consommateurs de solutions numériques. Le besoin en énergie est un problème commun. A ce titre Gaia-X lui semble un projet essentiel car il permet de faciliter le partage et l’interopérabilité des données à travers des normes et schémas standardisées – ce qui améliorera la qualité et la diversité des fournisseurs de services dans le secteur de l’énergie.
De plus, les solutions « open-source » et l’accès à une plateforme labelisée Gaia-X faciliteront grandement la convergence / le désilotage de tous les projets numériques dans le domaine de l’énergie et ainsi la mise en place d’un data space de l’énergie commun. Pour cela, il est urgent de dépasser la posture initiale de « manque de confiance / peur » et travailler dès maintenant et ensemble sur les solutions de contrôles des usages de la donnée, qui représente à ses yeux l’ingrédient clé de la réussite du data space. « Let’s act » concluera-t-il !
Aniello Gentile, pour sa part, a orienté son discours sur la plus-value de Gaia-X en termes de gestion de la sécurité. Selon lui, le framework et l’écosystème GAIA-X peuvent aider à répondre à 4 défis majeurs quant on parle de gestion des données :
- L’accès et le contrôle des données, prérequis à leur partage
- Protection des données personnelles
- La conformité aux lois et règlements, et ce à travers toute la chaîne des intervenants, des premiers fournisseurs jusqu’aux consommateurs finaux.
- La portabilité de la donnée et la protection contre le risque de verrouillage des fournisseurs
Il appelle donc de ses vœux à la mise en place du data space de l’énergie dès la fin 2024, selon la roadmap officielle, pour disposer de solutions qui, en vertu de leur conformité aux valeurs de Gaia-X porteront des briques natives permettant de répondre à ces quatre enjeux.
Pour Antonello Monti, l’atout majeur est d’éviter à chacun de repartir de zéro. A travers les projets Gaia-X, chaque membre peut bénéficier via le data space d’un large catalogue de services conçus, testés et optimisés permettant de couvrir un panel de besoins diversifiés. Autre point clé, et qu’il est le seul à avoir mentionné : il est important d’inclure dans les prochaines étapes des actions de communication et de sensibilisation à destination du grand public. Ce dernier doit comprendre les projets mis en œuvre au sein du data hub et plus largement de Gaia-X pour être convaincu du bien fondé de ces actions et y apporter son appui et sa contribution.
Enfin, pour Gunther Tschabuschnig, la plupart des données exploitées sont gérées par des PME, quel que soit le domaine (énergie, santé, finance, etc.). Or, ces dernières ont peur de perdre le contrôle sur l’information et la connaissance associée dès qu’elles exportent une donnée hors de leurs SI. Selon lui, Gaia-X est une réponse à cette peur dans la mesure où elle permet d’assurer la souveraineté sur ses données, c’est-à-dire, selon sa propre définition, de pouvoir disposer de choix, de pouvoir sélectionner ce que l’on souhaite faire avec ses données.
En synthèse, beaucoup d’espérance et de convictions sur la capacité de Gaia-X à rencontrer son marché à travers une proposition qui allie la performance des solutions (boostée par l’interopérabilité et l’ouverture des solutions) et le respect des valeurs européennes de souveraineté et transparence. On ne peut qu’appeler de nos vœux un écosystème où les utilisateurs pourront choisir au sein d’un large choix de solutions, pour répondre de façon spécifique et adaptée à leurs différents cas d’usage.
Mes réflexions en sortie de cette table ronde sont les mêmes qu’après les conférences “profession de foi” de la première matinée. Le projet Gaia-X, que l’on soit ou non en accord avec sa proposition de valeur, me semble à l’image du projet de construction européenne : des ambitions nobles, portées par des convictions fortes et très idéalistes, mais un fonctionnement relativement lourd et surtout un manque flagrant de communication pour faire adhérer l’ensemble des publics concernés, au-delà du premier cercle de contributeurs.
Comme l’a mentionné Gunther Tschabuschnig, ce sont les PME européennes qui feront le succès de Gaia-X. Or ces dernières n’ont pas vraiment le temps, ni toujours les connaissances, pour investiguer l’ensemble des services data proposés. Elles ont un business à faire tourner, un marché à comprendre, des concurrents à surveiller. Dans ce contexte, comment leur reprocher de s’orienter vers les offres les plus visibles, et qui semblent les plus accessibles ?
Il est illusoire, voire dangereux, de penser que l’adhésion à un projet, aussi vertueux et performant soit-il, peut se faire sur le simple bouche à oreille. Par conséquent, quelles sont les actions de communication prévues pour les convaincre de l’intérêt du projet, de la pertinence des services proposés et de la bonne façon d’y adhérer ? Comment les aider à faire la part des choses entre la proposition de valeur de Gaia-X et celles des autres fournisseurs cloud ? Face à des GAFAM qui disposent d’une armée de communicants et d’avant-vente, peut-on croire que quelques sommets, une newsletter mensuelle et quelques articles de presse suffiront ? Par qui et comment porter les actions de lobbying ? A ce titre, il sera intéressant par exemple de voir comment les premiers services proposés par Gaia-X seront marketés et quel relais sera fait par les groupes de travail.