Tech Shifts : la tech pour un monde plus soutenable – Thegreendata, ou comment réduire l’empreinte environnementale de l’alimentation
Transition énergétique, transition agricole, préservation de la biodiversité… face aux défis à venir, nous pensons que la technologie doit non seulement être soutenable, et son usage raisonné, mais qu’elle doit aussi contribuer activement à répondre aux enjeux environnementaux et climatiques.
Pour lancer cette nouvelle série d’articles “Tech Shifts : la tech pour un monde plus soutenable”, nous recevons aujourd’hui Jérémie Wainstain, ingénieur et diplômé de l’école Polytechnique. Il a notamment travaillé dans le secteur des télécoms, des médias et de la publicité, avant de fonder Thegreendata en 2015. Il a publié en 2022 l’ouvrage “L’équation alimentaire : Nourrir le monde, sans pétrole, en réparant la nature et le climat” aux Editions France Agricole.
Quel constat vous a amené à lancer Thegreendata ?
J’ai toujours été intéressé par les sujets de modélisation mathématique et leur implication dans différents types d’activité. Dans les années 2010, j’ai été témoin de la transformation du marché de la publicité par la data, et le développement des réseaux sociaux a vraiment poussé l’essor de la data et des modèles prédictifs.
Après avoir vendu ma première entreprise en 2014, je me suis alors demandé quel serait le prochain secteur industriel à connaître sa révolution et à utiliser la donnée pour optimiser ses prises de décisions. L’agriculture et l’alimentaire m’ont particulièrement intéressé à cause de leur très forte dépendance aux énergies fossiles. Bien que le secteur agricole soit devenu en 50 ans un secteur “semi-industriel”, avec une croissance massive de la production et une réduction des effectifs, l’usage massif d’énergie fossile – mécanisation, pesticides et engrais de synthèse – a en réalité rendu cette activité relativement “simple” et prévisible.
C’est ce qui explique, à mon sens, l’énorme retard pris par ce secteur dans l’usage de la donnée. Or pour faire face aujourd’hui aux enjeux environnementaux de décarbonation dans un contexte de dérèglement climatique, le monde agricole a besoin de rattraper son retard et de développer des outils d’aide à la décision pour piloter sa transformation.
La grande distribution, la banque, le transport aérien ou l’aéronautique ont tous vécu leur transformation “algorithmique” au cours des années 70-80. Le secteur de l’agriculture est, lui, resté dans une culture empirique des ses savoir-faire et pratiques. Or la crise du Covid, le changement climatique et la guerre ont bien montré l’importance des données et des algorithmes dans les prises de décisions, qu’elles soient collectives ou individuelles.
J’ai créé Thegreendata pour permettre à l’agriculture de rattraper ce retard et disposer d’outils de pilotage et d’aide à la décision, afin de réduire l’empreinte environnementale de l’alimentation, au niveau des fermes, des filières de matières premières, ou des industriels de l’agro-alimentaire. Les modèles mathématiques que nous développons nous permettent d’établir une estimation de l’impact environnemental des produits, et de proposer des trajectoires de réduction de cette empreinte.
Quel est l’état de la collecte de données dans l’activité agricole ?
Le secteur agricole collecte beaucoup de données. Ce qui manque c’est plutôt l’organisation des flux de données. Dans l’élevage par exemple, il y a beaucoup de données, mais elles ne sont ni partagées, ni valorisées. Plutôt que d’asseoir ses décisions sur des algorithmes nourris de données, l’agriculture se base encore sur une approche empirique, basée sur l’expertise et le bon sens. Or si cette approche est efficace dans des contextes simples, elle devient très risquée quand les aléas et la complexité s’accroissent. C’est pour cela que nous voulons promouvoir une culture de la décision avisée.
Quand les acteurs économiques du secteur seront convaincus de la nécessité de piloter l’activité avec des outils modernes, la collecte de données deviendra aussi naturelle que dans les autres secteurs économiques, et les sources de données sont nombreuses : satellites, tracteurs, robots de traite, outils de gestion de ferme, etc.
Aujourd’hui il manque la motivation de collecter ces données, car l’agriculture n’est pas perçue comme un secteur “à risque”. Contrairement à d’autres secteurs, comme la santé, l’énergie ou les transports, on ne fait pas de scénarios en agriculture : personne ne sait s’il va y avoir des ruptures de chaînes alimentaires. C’est un impensé, comme si le risque n’existait pas.
Pouvez-vous donner des exemples de cas d’usage ?
Les cas d’usage qui m’intéressent le plus s’inscrivent dans le temps long. Je suis un fervent partisan des analyses prospectives qui s’appuient sur des algorithmes de scénarisation, avec des modélisations de risques dans la pilotage des matières premières et des filières agricoles. Nous sommes actuellement face à une transition alimentaire où nous allons devoir changer les modes de production de l’alimentation. Les algorithmes et les données peuvent nous aider à optimiser des trajectoires à 5 ou 10 ans et à évaluer nos risques. Par exemple, modéliser la résilience alimentaire des bassins de production, et évaluer comment le réchauffement climatique pourrait les impacter, et donc comment s’en prémunir.
A une échelle plus petite au niveau des fermes, il sera aussi très utile de modéliser le temps long. Les agriculteurs vont devoir optimiser leur stratégie de production à long terme et prendre les meilleures décisions pour réussir à sortir des énergies fossiles, tout en maintenant leur activité. L’activité agricole va devenir de plus en plus compliquée dans les 10 prochaines années. Pour faire face aux défis qui arrivent, un agriculteur devra planter les bonnes cultures aux bons endroits, utiliser l’expertise agronomique, capitaliser sur l’expertise métier et surtout, utiliser l’énergie fossile avec parcimonie. Je crois réellement que l’agriculteur sera demain outillé d’algorithmes intelligents qui l’aideront à prendre ces décisions, piloter ses cultures et son troupeau, et vont transformer son activité de la même façon que le GPS a transformé la vie des navigateurs.
Quels sont les services apportés par la plateforme Thegreendata ?
La plateforme Thegreendata est une plateforme de pilotage de la transition alimentaire. Elle permet aux entreprises de l’agro-alimentaire d’évaluer de manière scientifique et opposable les impacts environnementaux de leurs produits et de mettre en œuvre la stratégie de réduction de ces impacts en lien avec le secteur agricole. Pour évaluer par exemple de manière scientifique l’impact d’une gamme de yaourts, la plateforme évalue les impacts du transport et du packaging de chaque produit, mais modélise aussi ceux de la production du lait qui représentent plus de 80% de l’impact environnemental.
L’originalité de la plateforme est de permettre d’évaluer à la fois l’impact industriel et l’empreinte de la matière première, en se basant sur les données issues des producteurs, et d’identifier ensuite les leviers de progrès. Nous avons la conviction qu’en modélisant de bout en bout les chaînes alimentaires, nous serons enfin capables à la fois de faire de l’estimation opposable, et de dessiner des trajectoires de progrès pour l’alimentation. Nous avons moins 10 ans pour réduire l’empreinte environnementale des chaînes alimentaires : l’empreinte carbone évidemment mais aussi l’empreinte sur la biodiversité, sur l’eau, sur le bien-être animal tout en assurant une juste rémunération aux agriculteurs. Autant de sujets qui font partie de la transition agricole. Il faut que tout cela avance de concert, et la plateforme Thegreendata a été conçue pour cela.
“L’équation alimentaire : Nourrir le monde, sans pétrole, en réparant la nature et le climat” est disponible aux Editions France Agricole :