Sport, éthique et data : quelles perspectives ?
De nombreux secteurs subissent ou embrassent de profondes transformations digitales. Le sport n’y échappe pas, et faire progresser l’analyse de ce dernier grâce à l’IA est devenu un des ses enjeux majeurs. Il y a dans cette démarche, portée par des algorithmes et l’exploitation de données, l’occasion d’offrir des outils d’aide à la décision en temps réel, une expérience plus immersive auprès des spectateurs, et plus d’interactions avec les individus.
Mais aussi de créer des inégalités sportives entre les protagonistes de la performance qui bénéficieront de moyens pour profiter de l’IA et ceux qui n’en auront pas les moyens. D’ailleurs, je me demande si nous parlerons de fair-play technologique dans quelques années, de la même manière que nous parlons de fair-play financier aujourd’hui. Dès lors, il y a un socle dont chacun peut comprendre qu’il est à l’origine d’un besoin de concevoir si le champ d’action du digital fragilisera ou préservera l’éthique du sport.
L’éthique : qu’est-ce que c’est ?
Avant d’aller plus loin, je propose qu’on commence par faire un petit arrêt sur la définition du mot éthique. L’éthique est un ensemble de critères moraux qui définit le paysage des valeurs morales d’une société, les mœurs. C’est aussi un peu plus complexe que cela, car éthique et morale bien que voisines, sont sensiblement différentes.
La morale est l’incarnation de ce que notre société peut élever au statut de mal ou de bien, selon des critères subjectifs. C’est ce qui définit nos principes et nos valeurs, alors que l’éthique nous invite à nous questionner et à mettre en perspective ces principes et valeurs morales supposées aiguiller nos choix et actions afin d’agir en adéquation avec celles-ci.
De l’éthique à la déontologie
Quand l’éthique -science de la morale- se heurte à des problématiques liées à un corps de métier en particulier, on parle alors de déontologie -science du devoir-. Alors que l’éthique s’attèle davantage à donner des grands principes, la déontologie impose un cadre, du contenu patent. Prenez le Serment d’Hippocrate par exemple, c’est le texte fondateur de la déontologie médicale.
Y a t-il une déontologie dans le monde du sport ?
On parle plus souvent de valeurs du sports et de grands principes du sport que de déontologie du sport, néanmoins, ces grands principes qui font la beauté du sport répondent, eux aussi, à des enjeux sociétaux. Bien sûr, elles se sont transformées au fil de l’évolution des mœurs de notre société. Par exemple, l’inclusion, l’égalité des sexes n’a malheureusement pas toujours été inscrite sur l’étendard du domaine sportif. J’en veux pour preuve cette phrase de Pierre de Coubertin : « Les jeux olympiques devraient être réservés aux hommes, leur rôle (les femmes) avant tout devrait être de couronner les vainqueurs ». Ce n’est pas le sujet de cet article mais c’est toujours bon de le rappeler, d’autant plus qu’il persiste encore quelques réticences d’inclusions et d’égalités dans certains sports.
Valeurs du sport face au champ d’action du numérique
Aujourd’hui les technologies liées au digital ont le potentiel d’amener une incidence bénéfique aux athlètes, et même en termes d’expérience pour les spectateur (voir ci-dessous l’exemple des Match Facts de la Bundesliga). En optimisant l’exploitation de la Data et du machine learning nous pouvons sereinement envisager de nouveaux cas d’usage profitables au sport. Ils permettront de minimiser les risques de blessures, de consolider un passeport biologique fiable et dynamique, de suivre les pics de forme, mieux adapter un entraînement, mieux détecter les futurs talents de demain et remettre les fans au cœur des manifestations.
Il sera aussi possible de connaître les meilleures combinaisons possibles dans une équipe de foot en faisant passer le talent personnel après la synergie d’une équipe de foot “Benzema, deso tu seras déjà à la retraite” et même qui sait, prédire l’issu d’un match grâce au ML -et par la même occasion libérer Paul le Poulpe- #savePaul.
IA et DATA au nom des grands principes du Sport
L’Olympique de Marseille, que nous accompagnons avec notre partenaire AWS, mise sur le machine learning et la détection vidéo pour améliorer son scouting, l’identification des jeunes talents du football. L’opportunité de renforcer une des valeurs fondamentales du sport moderne, l’inclusivité, en excluant la valeur subjective d’un regard humain pour se baser sur des données totalement objectives : des chiffres et des recommandations pertinentes assistée par IA.
Autre exemple, il y a quelques semaines mon collègue Luiz a écrit un article que je recommande sur la détection d’anomalies. Si nous appliquons ce principe en y intégrant des données relatives à la progression d’un athlète, il serait plus simple de cibler des courbes de progression anormales. Établir des schémas de progressions suspectes pourrait être l’opportunité de se doter d’un outil supplémentaire pour lutter contre le dopage. Comment précisément ? J’ai prévu d’écrire un article sur ce sujet très prochainement, stay tuned ;).
IA, DATA et …biais, à l’encontre des grands principes du Sport
Je vais maintenant nuancer mes propos. Évidemment, il existe des potentielles dérives liées à la l’exploitation de la data dans le sport si rien n’est cadré, ou normé. Une IA faisant des recommandations sur la détection d’un futur grand athlète peut-elle être vraiment neutre et objective même si elle est supposée être dépourvue de préjugés ? Et bien pas nécessairement, tout dépend de la manière dont l’outil aura été développé et comment nous aurons entraîné cette IA capable de nous conseiller. L’intelligence artificielle n’est pas intelligente. Elle n’est que le résultat d’un algorithme pensé, créé et développé par un humain et donc, de facto, rempli de biais. Céline Castets-Renard, Professeur de droit à l’Université d’Ottawa fait un focus très pertinent sur ces algorithmes reproduisant nos propres biais “La prise de décision algorithmique ou aide à la décision, […] reproduit voire renforce le biais. Plus dangereux encore, la décision peut devenir une prévision auto-révélatrice”.¹
J’écrivais que l’IA pourrait potentiellement nous aider à mieux détecter les cas de dopages. Si c’est vrai, il est donc aussi tout à fait envisageable de se servir de la technologie pour réussir à se doper efficacement sans que cela se voit. Et donc d’aller à l’encontre des grands principes du sport.
L’éthique de l’usage pour préserver les valeurs du sport
C’est souvent à posteriori qu’on songe à l’impact des innovations, et c’est encore plus dommageable quand il s’agit d’innovations technologiques car tout se répand plus vite. Le fair play étant la vertu par excellence placardée sur le l’étendard du sport, peut-on passivement œuvrer pour l’évolution de ce dernier sans penser éthique? Nous interagissons avec les technologies liées aux intelligences prédictives, le machine learning… et nous fantasmons déjà sur les opportunités applicables au sport. Si la question de la mise en place de ces dispositifs techniques semble évidente, je crois qu’il est également important de penser déjà à une certaine “éthique de l’usage” car l’usage sera toujours en partie normé lors de la construction des dispositifs techniques, supposés rendre le sport plus accessible, plus vertueux, plus beau. Pour ce qui est du reste, à nous de nous réunir (athlètes, coach, fédérations, chercheurs, techs) pour promouvoir un “fair-play technologique” qui incarnera le “sport beau” de demain.
Si vous voulez échanger autour de ce sujet n’hésitez pas à m’envoyer un petit message.
Cet article fait partie de la série d’articles consacrés à Gravity.