Le bonheur, est-ce pour les loosers ?
En ce début de soirée des droits de la femme plutôt que d’aller manifester à un quelconque endroit pour lutter contre le patriarcat, me voici à la “Up Conférence” du 8 Mars 2017, sur le thème du bonheur. J’ai la délicieuse attention de prendre des notes pour vous faire un petit compte rendu car comme le dit Laurence Vanhée « Mieux vaut penser le changement que changer le pansement ».
« On passe du temps à se déchirer ou à penser à consommer plutôt que d’essayer de passer du temps avec les gens que l’on aime » : c’est sur cette citation d’Edgar Morin, un des précédents invités, que s’ouvre cette conférence au format table ronde. Et si nous pensions aussi à aimer nos collègues ? Pour débattre du sujet, et plus globalement de la question du bonheur en entreprise, quatre « professionnels du bonheur » sont réunis autour de cette table ronde :
- Severine Daniel, Chief Happiness Officer et consultante en communication interne et management
- Alexandre Jost, Centralien, Berkeley, ancien de Mars&Co, fondateur de « La Fabrique Spinoza », Think Tank du bonheur citoyen
- Michaël Mangot, auteur de « Heureux comme Crésus », Economiste, professeur à l’ESSEC
- Laurence Vanhée, CEO Happy Performance
- Nicolas Froissard, Animateur, Fondateur de Up Conférence – @nfroissard
Venez rencontrer Alexandre Jost, fondateur de la @FabriqueSpinoza, la semaine prochaine https://t.co/qrtmdXlpiv pic.twitter.com/U4N6R5qpmS
— Up Conferences (@up_conferences) March 2, 2017
La première question posée aux invités est celle du bonheur (au passage, j’espère qu’eux l’ont trouvé avant de débattre!) Chacun a sa définition, et on peut d’ailleurs débattre du terme même de bonheur au travail. Je ne développerai pas cette question (même si tous paraissent s’accorder sur l’alignement des corps physiques, émotionnels et psychiques) pour résumer l’état des lieux en France sur le sujet ainsi que l’idée que je m’en fais dans le monde professionnel.
La moreusité française
Si les pays d’Amérique du Sud et scandinaves sont les champions du bonheur, en France les freins semblent nombreux. Et particulièrement dans l’entreprise, où les salariés sont à la fois plombés par la lourdeur des processus, et infantilisés par la forte distance hiérarchique et le degré de dépendance à un supérieur. Les salariés restent dans l’attente de décision d’en haut et s’enferment dans ce rôle. Ce schéma de dépendance est le même vis-à-vis de l’état et ce manque de liberté génère la souffrance. Plus généralement, sont cités pêle-mêle le lien social moins bon, le manque de confiance dans les institutions, et le pouvoir d’achat en baisse. L’argent, justement, parlons-en. Si le sens commun s’accorde à dire qu’il ne fait pas le bonheur, il reste cependant très utilisé comme élément de mesure du bonheur. Pourtant, les études montrent que passé le seuil de 75K€/ an, l’argent n’a plus d’impact sur le bien-être émotionnel donc il ne fait plus le bonheur. Que peut-on en conclure ? Que le bonheur dans l’entreprise n’est pas seulement lié à la politique de rémunération.
Et pourtant, comme le constatent les intervenants, il est toujours étonnant de voir à quel point parler de bonheur en France, c’est pour les bisounours alors que l’argent, c’est sérieux ! Comme si aspirer à être heureux, c’était être naïf. Dans notre société cartésienne, l’émotionnel est subjectif. Le bonheur l’est en conséquence, et donc il n’est pas valorisé. Pourtant n’est-ce pas schizophrène d’être heureux chez soi mais pas au travail ? La mesure de l’utilisation du cerveau droit (créativité, affect, émotion) ne rentre pas naturellement dans des tableaux Excel par rapport à celui de gauche (basé sur des faits et de la logique) alors qu’au-delà de l’argent, ce sont ce que les hommes recherchent. Le matériel, on s’en lasse!
Trouver le bonheur au travail
Non, le bonheur au travail n’est pas une utopie, mais il n’existe pas de recette toute faite pour y parvenir. Mais tous sont d’accord pour dire que la liberté et la confiance établie, qui permettent aux salariés d’aller piocher ce dont ils ont besoin pour être heureux, sont des ingrédients essentiels. On peut aussi s’inspirer des exemples qui fonctionnent, comme la création de communautés (comme Spotify a su le faire) pour renforcer le lien. La question de l’utilité et du sens est aussi au cœur du débat : comment trouver du sens à son travail et se sentir utile ? Comment reprendre l’estime de soi ? C’est à l’organisation de réfléchir avec l’ensemble des collaborateurs sur ces problématiques. Et individuellement, comment pouvons-nous agir? Par exemple, en apprenant : acquérir d’autres compétences que celles pour lesquelles nous sommes employés. Pour cela commençons déjà par nous connaître et switchons ! L’enjeu est essentiel, et pas seulement parce que la performance de l’entreprise est liée au bonheur individuel de ses salariés, comme tous les intervenants s’accordent à le dire. Enfin, on peut s’exercer quotidiennement au bonheur : prévoir un temps collectif pour exprimer sa gratitude tous les matins envers ses collègues (compter 21 jours pour que le résultat opère!), ou encore exprimer 3 pensées positives par jour à la même heure.
Chief Happiness Officer
Cette tendance est portée par l’apparition d’un nouveau poste en entreprise depuis 2010 : le Chief Happiness Officer. 96 postes ont été créés en 2016. Leur rôle est justement de mettre du lien dans l’organisation et favoriser le contexte de liberté évoquée plus haut. Peu sont encore cependant présents dans les comités de direction. Quelques grandes enseignes comme la Maif, Norauto ou Kiabi ont franchi le pas, et beaucoup de startups utilisent aujourd’hui cette dénomination. Et bien d’autres sociétés ne revendiquent pas ces pratiques même si elles sont naturellement dans cet état d’esprit.
Demain, le bonheur au travail ?
Pour conclure, mon impression est que pour que le bonheur s’immisce au travail, il faut qu’il sorte de l’espace des ressources humaines même s’il est primordial que cette fonction soit sensibilisée. Tout un chacun peut évoluer, toute fonction confondue, un petit groupe peut pousser la valorisation de l’utilisation du cerveau droit. Par dessus tout, je ne pense pas qu’il s’agisse de question de bisounours mais d’organisation et de volonté de la direction. Beaucoup de réponses existent : les entreprises libérées, l’Holacratie, les Organisations Responsive et j’en passe. À chaque groupe, en fonction de son niveau de conscience de choisir les réponses qui lui conviennent.