Mieux connaître les biais cognitifs pour prendre de meilleures décisions
Dans un précédent article « Biais cognitifs : pourquoi votre cerveau vous ment? » , nous avons abordé le sujet des biais cognitifs, ces illusions de pensée qui trompent notre cerveau et nous conduisent parfois à prendre de mauvaises décisions. Après la théorie, nous avons souhaité vérifier en pratique à quel point les biais cognitifs peuvent influencer la prise de décision, en menant une expérimentation sur un panel de testeurs volontaires.
Comment avons nous procédé ? L’idée était de placer les testeurs dans une situation où ils auraient à prendre une décision après avoir été exposés à différents biais. Nous souhaitions savoir si leur décision était influencée ou non par les biais cognitifs, et si oui dans quelle mesure. Pour mener cette expérimentation, nous avons choisi deux mises en situation différentes : un entretien de recrutement, et une affaire criminelle. Chaque situation est exposée à travers une courte vidéo de 6 à 7 minutes, à l’issue de laquelle le testeur doit prendre une décision.
Toutes nos décisions sont-elles sous influence ?
Le premier cas de test concerne un scénario de recrutement pour une startup qui commercialise une application mobile. L’objectif est de recruter un directeur commercial parmi trois candidats au choix. Bien sûr il n’y a pas de candidat parfait (comme en situation réelle !), et donc le choix est laissé à l’appréciation du recruteur. Les 3 candidats ont volontairement un profil différent: Dario est un candidat (trop) sûr de lui, qui en met plein les yeux, Margery une candidate qui attire la sympathie, Branley, un candidat qui semble nonchalant mais qui a un fond intéressant.
La deuxième vidéo transporte les testeurs au siècle dernier : Lord Audric Montgomery a été retrouvé mort dans son bureau, la cause de la mort est un empoisonnement lié à une forte dose de cyanure. Quatre suspects sont interrogés, et le testeur a la lourde tâche d’aider l’inspecteur Sherlock dans son enquête.
Dans ces deux mises en situation, l’angle qui a été choisi est volontairement subjectif : les testeurs n’ont pas d’élément concret ni de faits sur lesquels baser leur décision, et ils n’ont d’autre solution que de suivre leur intuition. Il n’existe pas de candidat au pedigree parfait, comme il n’existe pas d’indices évidents permettant de prendre une décision dans l’enquête menée. Et pour mesurer l’impact des biais sur la prise de décision, nous avons volontairement criblé chaque candidat et suspect de biais, positifs et négatifs.
#TIADParis J-4! À quel point êtes-vous automatisés? Venez vous faire diagnostiquer par @MJaganathenRH @ETavernierRH pic.twitter.com/fxYIt0Atm9
— D2SI (@d2si) September 30, 2016
Compte-rendu de l’expérience sur les biais cognitifs
L’expérience a été menée lors du TIAD (journée organisée par D2SI sur le thème de l’automatisation et de la désautomatisation), sur le plateau média de la Gaîté Lyrique, où nous avons proposé aux participants de vivre une expérience sur l’automatisation du cerveau. Bien entendu, nous nous sommes gardées de préciser que nous allions tester les biais cognitifs. Nous avons choisi la méthode de l’expérimentation, afin que les testeurs puissent se rendre compte par eux-mêmes des biais auxquels ils sont soumis, et ainsi mieux les retenir (et s’en méfier!).
Quels ont été les résultats ? L’expérience a montré que 3 biais (préjugé, effet de halo et biais émotionnel ) parmi les 13 testés ont fortement influencé le 56 participants.
Si nous prenons pour exemple le scénario de recrutement, nous avons fait appel à des préjugés à la fois positifs et négatifs : Margaery peut être victime des préjugés portés sur les mères célibataires. Par exemple, elle devra s’absenter pour s’occuper de son enfant quand il sera malade. Mais en contrepartie, son physique lui permet de faire une bonne première impression. Même chose concernant Dario, dont on pourrait penser à tort qu’il est sérieux car il présente bien. A contrario, si l’on reste sur la première impression faite par Branley (en retard, mauvais démarrage, porte un maillot de foot), on peut penser que ce n’est pas un candidat à prendre au sérieux : il est en retard et habillé de façon très (trop) décontractée. Ici le biais est l’erreur fondamentale d’attribution : on peut croire qu’il n’est pas fiable, alors qu’il a peut-être réellement subi un retard au niveau des transports. Enfin, nos sentiments pourraient nous amener à vouloir donner une chance à Margeary, mère célibataire en fin de droits.
Bilan : nos testeurs ont tellement été influencés que seulement 16% d’entre eux ont décidé de recruter le candidat qui nous semblait le plus solide. La raison de ce manque de discernement est que les testeurs ont accordé plus d’importance aux biais négatifs qu’aux positifs.
Pour le scénario du crime, les résultats parlent d’eux même: aucun testeur n’a trouvé le bon coupable. La situation était plus complexe, et au final les testeurs ne disposaient d’aucun élément probant, et pourtant seuls 2% d’entre eux ont choisi de ne pas se prononcer. Ce qui pourtant était la “bonne” réponse puisque, quelques semaines plus tard, les conclusions de l’enquête déboucheront sur le suicide ! Les apprentis enquêteurs ont accusé avec conviction la femme de chambre parce qu’elle avait déjà assisté à la mort de son précédent employeur selon une aveu du jardinier (biais du parieur) ou la femme du baron qui, prise de migraine, s’était rendue à la pharmacie le jour même du crime (erreur fondamentale d’attribution).
Le fait que l’hypothèse du suicide n’ait été évoqué à aucun moment dans la vidéo (biais de cadrage) et que l’inspecteur partage ses premières conclusions penchant pour le crime (biais de conformisme) ont certainement aussi grandement influencé les testeurs.
Qu’avons nous retenu de cette expérience ?
Cette expérience a mis en évidence ce que nous supposions : que chacun d’entre nous peut être influencé par les biais cognitifs et que ceux-ci peuvent être bien plus puissants que ce que nous avions imaginé. Les biais cognitifs concernent aussi bien des personnes habituées à la prise de décision que ceux qui commencent leur vie professionnelle, les profils techniques que les non techniques, les hommes que les femmes. La seule différence est que nous ne serons pas sensibles aux même biais.
Alors comment s’en prémunir ? Dans le métier du recrutement, pour ne pas prendre de mauvaises décisions, je n’oublie pas que je ne suis pas infaillible. Je n’occulte pas une partie de mon cerveau : une décision prise uniquement sur des critères subjectifs, autrement dit avec mon intelligence émotionnelle, serait tout autant catastrophique qu’une décision purement analytique où l’intuition n’aurait pas sa place. Prendre la bonne décision de recrutement demande aussi de multiplier les points de vue, en échangeant avec ses collègues. En entretien, il faut savoir poser des questions variées et changer l’angle, afin d’éviter de se faire influencer par le même biais pendant plusieurs questions. Il n’y a pas de bon ou de mauvais candidat, il faut juste en avoir conscience et ne pas se laisser influencer !
Challenger son intuition en situation d’entretien
Au sein de l’équipe RH de D2SI, nous pensons avoir fait le bon choix quand nous avons pris le temps de creuser, de collecter l’information, d’avoir investigué et surtout d’avoir challengé notre cerveau afin de s’assurer de ne pas tomber dans le piège des biais cognitifs.
C’est ce que nous nous efforçons de transmettre à travers notre formation Technical Interview Training que nous proposons à nos consultants. L’idée de cette formation est de s’améliorer dans la conduite d’entretiens techniques en se servant de l’hémisphère gauche de son cerveau (démarche objective à travers l’apprentissage d’une méthodologie de conduite d’entretien), tout comme l’hémisphère droit (apprendre à écouter son intuition, mais aussi à la challenger au regard des biais cognitifs et de nos filtres personnels). Cette formation repose sur beaucoup de pratique (simulation d’entretien) et de partage entre les participants. Les échanges qui en résultent sont très enrichissants et prouvent, encore une fois, l’importance des soft-skills dans les métiers techniques !