Automatiser les machines, désautomatiser les esprits
Près d’une offre d’emploi actuelle sur quatre correspond à un métier qui aura été automatisé d’ici 2035, d’après une étude menée par Adzuna. L’automatisation fait la une des médias, souvent pour cristalliser les inquiétudes quant à l’évolution du marché de l’emploi, mais également pour souligner comment l’automatisation peut être facteur d’innovation et de progrès. L’automatisation est en effet autant porteuse de menaces que d’opportunités : c’est une véritable mutation sociétale qui s’engage.
Dans le domaine de l’IT, l’automatisation fonctionne comme un jeu de Lego : les briques d’automatisation, interchangeables, permettent de faire émerger plus rapidement des produits plus aboutis, répondant à des situations plus complexes. Ce système de briques permet de gérer plus facilement l’évolution du système d’information : plus besoin de tout remplacer. De la même façon, les tâches répétitives sont automatisées : c’est parfois un bienfait car elles sont chronophages et sans valeur ajoutée, mais cela peut aussi conduire à la suppression pure et simple de certains postes.
C’est un vrai sujet de société, qui appelle à repenser la façon dont nos économies fonctionnent. Cependant on oublie souvent de se poser une question importante, celle de la place de notre propre automatisation. A quel point sommes nous automatisés ?
Nous fonctionnons en grande partie avec des automatismes
Dans son fonctionnement normal notre cerveau développe des automatismes. Comme toute activité consomme de l’énergie, notre cerveau cherche au maximum à l’économiser en créant des routines automatiques qu’il “imprime” dans les cellules nerveuses. L’objectif est de nous éviter d’avoir à faire l’effort d’analyser chaque point d’une situation et de devoir prendre des décisions.
En effet, les décisions nous coûtent, et notre capacité à en prendre est limitée. On parle d’ailleurs d’ego depletion, ou la fatigue liée de la prise de décision. Il ne s’agit pas nécessairement de décisions importantes : prendre une douche, faire du vélo, aller au travail… et pour lesquelles cette tendance du cerveau à créer des routines est éminemment utile.
Des routines plus complexes
Au-delà de la physiologie du cerveau, beaucoup de nos activités sont intrinsèquement organisées pour créer des automatismes. De l’école jusqu’à l’entreprise, nous développons de nombreux automatismes afin de répondre à ce qui est attendu de nous. En entreprise, les process ont pour but de créer des automatismes, pour être reproduits plus facilement, et de façon fiable. Enfin, notre vie numérique a elle aussi généré de nouveaux automatismes : on vérifie machinalement ses mails, Facebook, Twitter… La liste de nos automatismes est longue.
Les automatismes nous sont-ils toujours bénéfiques ?
Nous vivons actuellement une période de mutation : technologique, professionnelle et sociétale. Cette période est caractérisée par de nombreux changements, qui nécessitent de notre part une attention profonde. Les enjeux et les attentes, pour les entreprises comme pour nous, ont changé, et continuer de fonctionner avec des automatismes hérités d’un contexte différent nous désavantage clairement. Car les automatismes nous privent de beaucoup de choses : ils entament notre capacité à voir les choses avec un oeil neuf. Faire preuve de créativité et produire des innovations est rarement le produit d’une pensée mécanisée, pleine d’automatismes.
L’agilité, au sens de l’adaptabilité, n’est plus une option pour nombre d’entreprises. Or être agile c’est être capable de s’ajuster à la situation, et cela commence par prendre conscience de nos automatismes. Ces automatismes, qui autrefois nous facilitaient la vie, aujourd’hui nous appauvrissent : ils nous font perdre en connaissance, en inspiration et en liberté. Nous les subissons, et cela nuit à notre capacité d’action : quelle est la pertinence de nos choix et de nos décisions, si nous cherchons à répondre à des situations nouvelles avec des automatismes ?
Désautomatiser les esprits
Nous sommes dans une ère d’automatisation : celle des machines et des technologies. Entrer en compétition avec les machines, c’est s’assurer d’une défaite à terme (cf les récents “exploits” de la machine AlphaGo au jeu de go). Comme nous serons toujours plus chers et moins performants que la machine, la question que nous devons nous poser à l’heure de l’automatisation (et de la robotisation) est la suivante : que signifie être humain dans une entreprise et la société plus largement ? Qu’apporte-t-on en terme de valeur ajoutée et dans quel domaine ? Pour y répondre, nous devrons peut-être apprendre à perdre certains de nos automatismes…
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